Bonjour,
Au-delà des questions de concurrence, il me semble qu’il y a des vraies difficultés à adresser maintenant sur la constitution d'un prix. Je ne vais pas chercher à les résoudre en profondeur dans ce post (ça nous éloignerait du cycle de post sur la monnaie) mais à les évoquer dans ce long post.
Si d’un coup, nous sommes passés à 2 euros pour la baguette, Est-ce nécessairement un problème de concurrence ? Est ce nécessairement absurde d'avoir eu ce saut ? Autrement dit, que contient le prix ?
- Prenons dans un premier temps l’option économique, qui semble privilégié par beaucoup...
Les économistes ont l’habitude de parler du « fondamental ». Il s’agit du coût de production. Le prix contient une marge au-delà de ce coût. Comme écrirait les économistes : p=c+m, prix = coûts de production + marge. ça a le mérite d'être simple.
Exprimé comme cela, nous pourrions dire qu’il existe un fondamental à 1 euros pour la baguette. Un prix « raisonnable » serait donc à 1.10 euros du fait d’une marge à 10%, si tant est que la marge à 10% dans la boulangerie soit elle même « raisonnable ».
Soit...mais...
- les prix dépendent d'autres prix
Mais les économistes raisonnent toujours « toute chose égale par ailleurs ». Le « fondamental » s’appuie lui-même sur des coûts des facteurs de production. Or ces coûts eux mêmes, comment sont ils établis ? Comme toutes les valeurs d’échange : par des transactions observées à tel prix pour tel objet qui peu à peu contribue à forger une croyance sur le juste prix.
Dans ce système, tout le monde se tient par la barbichette. Il n’y a pas de référent absolu, il n’y a que des prix relatifs.
Le raisonnement se poursuit par récurrence et donne le vertige : pour que le prix de la baguette soit raisonnable, sa production doit couvrir les coûts ; je regarde le prix de la farine, pour que ce prix soit raisonnable, sa production doit couvrir les coûts ; etc sur toute la chaîne…
- Se faire une opinion par soi-même est un investissement qui peut être élevé, d'où un écart permanent relativement à "l'équilibre théorique"
Bertrand a tout à fait raison avec son mixeur moulinex : la seule manière de se faire une opinion sur le prix "raisonnable", in fine, consiste à le faire soi même. C’est ce que font des acteurs « concurrents » lorsqu’ils s’installent pour faire « concurrence ». Si ces personnes ont estimé qu’il pouvait tirer parti de la situation pour obtenir un gain, ils viennent pour lutter contre les acteurs établis.
Nous pouvons raisonnablement penser qu’à long terme, il y aura eu suffisamment d’acteurs pour établir un prix « raisonnable » relativement à ce qu’il faut engager pour produire.
Simplement voilà, tout demande du temps, de l’investissement, de l’argent, des envies, des compétences, du travail. Rien n’est instantané. La concurrence pure et parfaite n’existe pas. C’est pourquoi la constitution de l’idée que nous avons d’un juste prix est progressive. C'est pourquoi ce n'est pas un prix isolément qui s'établit mais un réseau de prix tous interdépendant. L'image est celle du filet de pêche: tous les prix sont des noeuds du filet - si je tire sur un prix, cela se propage sur tout le réseau, pas simple...
- Les écarts entre le prix et le coût sont la règle: ils traduisent le rapport de force
Au final, ce qui constitue l'essentiel de la réalité économique quotidienne est justement dans cet écart permanent entre ce qui est et "ce qui serait à long terme toute chose égale par ailleurs". Cet écart se traduit notamment par une "marge m" durable et persistante.
Il peut y avoir des écarts importants et durables avec le coût de production. A cet égard, quid de la persistance des coûts élevés du téléphone chez un grand groupe historique avec les coûts ridicules chez des opérateurs adsl alternatifs ?
Ces écarts importants et durables entre le prix et le coût ne sont pas des anomalies, c'est la règle. Tout se passe comme si le coût était le niveau de la mer, la marge la hauteur de la vague qui déferle, et que tous les acteurs "surfaient" des vagues plus ou moins grosses, plus ou moins tôt. Sans vague, pas de dynamique économique...
Nous en revenons aux fondamentaux évoqués: l'économique est un rapport éthérée de pouvoir. Le sous jacent, le rapport de force, fait rage sur le terrain de bataille économique. C'est ce rapport de force qui s'exprime par la persistance d'un avantage concurrentiel qui se traduit lui-même par une rente de marge.
Pour ceux qui en douteraient encore, je les invite à étudier les définitions de la stratégie d'entreprise du type "Élaborer la stratégie de l'entreprise, c'est choisir les domaines d'activité dans lesquels l'entreprise entend être préservée et allouer des ressources de façon à ce qu'elle s'y maintienne et s'y développe (strategor)". En clair, il s'agit de préserver et de maintenir une position de pouvoir sur le marché relativement aux autres. De ce point de vue, la concurrence pure et parfaite devient maintenant une franche rigolade, c'est Alice aux pays des merveilles. Les hypothèses de la concurrence pure et parfaite, c'est justement d'affimer qu'il n'y a pas de possibilité de préserver et de maintenir une position de pouvoir...
- Le prix est à cheval entre "le pouvoir acquis sur le désir qui anime la demande d'un objet donné" et "l'érosion de cette prise de pouvoir du fait de contre pouvoir". C'est un équilibre permanent des forces
En résumé, l’approche économique de cette question conduit à établir une fourchette, entre la rente des producteurs (qui bénéficie d’une situation de concurrence toujours imparfaite, c'est-à-dire d’une position de pouvoir durable sur les autres acteurs, ne serait ce que par la confiance accordée par les clients, à tord ou à raison) et le coût de production (qui provient lui-même du réseau des prix des facteurs de production en amont, tous interdépendants).